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© Pierre Antoine


"Elsa Sahal des origines à nos jours"
Commissaire d’exposition Gaël Charbau

17 mars – 5 mai 2018
Vernissage samedi 17 mars, 15h - 20h

Cela doit faire plus de quinze ans maintenant que je connais Elsa Sahal. Je l’ai toujours vu appeler ses sculptures par leurs petits noms et entretenir avec elles une sorte de relation familiale, comme si, lorsqu’elle en parle, il s’agissait d’évoquer un vieil oncle ou une arrière cousine. Et comme dans toute famille, il y a les grandes figures, les caractères qui dérangent, certains membres exotiques ayant échappé à tout contrôle ou les derniers rejetons dont on ne sait pas ce qu’on fera d’eux, tellement ils semblent turbulents et rebelles à leurs ainés. Toute une filiation issue de la même terre. Il n’est probablement pas nécessaire de souligner à quel point ce matériau est la matière première de l’existence, qu’on l’envisage d’un point de vue religieux ou scientifique : la plasticité de la terre, dès le premier contact, nous projette immédiatement dans la folie complexe de la vie.
Devant l’œuvre d’Elsa Sahal, il n’est pas non plus nécessaire d’être un grand psychanalyste pour s’apercevoir que l’on fait face aux multiples déclinaisons d’une grammaire de l’érotisme. Si la présence de "grottes" - sur lesquelles l’artiste a longuement travaillé - n’était qu’un indice, la multiplication des excroissances et des orifices, de figures pénétrantes ou offertes, luisantes ou souillées, pleines de muscles et de muqueuses, devrait achever de nous convaincre.
C’est bien une langue dont toutes les règles célèbrent la prolifération, une sorte de répétition échantillonnée de ce que le monde nous offre en permanence, lorsqu’on observe les fleurs, les plantes, les poissons, les insectes et nous-mêmes acteurs, voyeurs, de cette débauche généralisée. Tout autour de ces ébats, l’artiste a inventé comme un théâtre : parfois, un groupe de fleurs isolé, un nu célibataire, un organe en attente. Des formes de vie qui, implicitement, indiquent une action qui va s’accomplir, ou un ailleurs qu’il nous faut inventer. Sur quoi ces sortes de plantes poussent-elles ? Quel est le pendant de ces lèvres douillettes ? Toutes les figures n’ont pas leurs autres, toutes les paires ne sont pas systématiquement constituées. Une vie ne suffirait pas, en effet, à copier l’aimé. Mais comme au spectacle, toutes semblent avoir, dans la scène, une raison d’être. Si elle nous échappe, c’est que nous n’avons pas l’ensemble du programme génétique : nous ne sommes pas dans la tête de l’artiste mais dans les effets visibles de ce qu’elle rend manifeste. Chaque exposition est ainsi à envisager comme une cérémonie particulière, une façon de faire parader devant nous ce qui d’habitude devrait rester caché. La "Fontaine" qui fût exposée dans le jardin des Tuileries pendant la Fiac en 2012 - en fait une véritable pisseuse sans tronc qui surplombait deux fûts parés de coraux - en constitue une preuve, donnée au plus large public.
L’hypothèse de la cérémonie me semble confortée par le fait qu’Elsa a développé, aux côtés de ses figures ithyphalliques ou fécondes, des sortes d’accessoires qui semblent vivre leur propre autonomie, comme en symbiose avec le corps qui les porte. D’étranges boulons, coraux, cheveux de laine ou coques en verre coulé ont ainsi poussé tout le long des sculptures et ce, depuis toujours. S’agit-il de quelques attributs dont la fonction nous est cachée ? D’accessoires convoqués pour ce rituel de la cuisson qui fige à jamais la sculpture comme on accompagne les défunts de l’autre côté de la rivière ? La cuisson, en effet, est un moment paradoxal : il parachève et il tue, il est le préalable à la vie de la sculpture, et il lui ôte au même moment toute possibilité d’évolution. "De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est l’approbation de la vie jusque dans la mort", écrivait Georges Bataille (1). Dans ce qu’elle nous montre, derrière les émaux qu’elle fait vibrer de gerbes de couleurs comme pour mieux en rire, Elsa Sahal dit la fantaisie de l’existence dont nous ne sommes que des vecteurs. Cette vie, nous l’accompagnons en simples locataires, enrobés de matière et plaqués au sol par la gravité, seul point faible de la terre crue. Elle a parfois cherché à s’en affranchir, suspendant ses œuvres dans l’espace de la Chapelle du Genêteil, en 2016.
Pour cette nouvelle exposition à la Galerie Papillon, c’est du sol que les sculptures émergent. Depuis l’inconscient de l’artiste jusqu’à hauteur de nos regards, "dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre" (2), car à la terre on retourne toujours, ayant parfois croisé l’amour, de l’origine jusqu’à nos jours.

Gaël Charbau


Elsa Sahal
- Née en 1975 à Bagnolet. Vit et travaille à Paris.
Diplômée de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris en 2000, l’artiste effectue une résidence à Sèvres en 2007 qui lui permet de développer le travail des émaux avec des cuissons à haute température.
La Fondation d’entreprise Ricard lui consacre en 2008 une exposition personnelle et elle obtient le prix MAIF pour la sculpture. En 2009, elle est accueillie comme professeur invitée à la Alfred University, New York State College of Ceramic. Elle a par ailleurs enseigné à l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg de 2005 à 2012.
Lors d’une résidence à la Archie Bray Foundation dans le Montana en 2013, elle approfondit encore des techniques de cuisson et aborde de nouvelles formes, plus épurées. Cette même année, ses œuvres sont montrées lors de l’exposition Body & Soul: New International Ceramics au Museum of Art and Design de New York.
En 2014, elle présente ses nus couchés monumentaux au Festival International d’Art de Toulouse et en 2015 elle participe  à l’exposition Ceramix au Bonnefantenmuseum à Maastricht et à la maison rouge à Paris en 2016.
En 2017, son travail est présenté dans les expositions Women House à la Monnaie de Paris et au National Museum of Women in the Arts à Washington (2018) ; Les retrouvailles, Musée des Beaux-Arts de Brest ; POINT QUARTZ Flower of Kent, Villa Arson - Nice; Surreal House à la galerie The Pill, Istanbul.

Pour les œuvres qui comportent des éléments en verre, ceux-ci ont été réalisé grâce à un projet de l’artiste sélectionné par la commission mécénat de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques qui lui a apporté son soutien.


(1) Georges Bataille, L’Érotisme, Les Éditions de Minuit, 1957, p.17
(2) Émile Zola, premiers mots de Germinal, 1885