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Elsa Sahal
Hommage à Jambes Arp

Scénographie - Lef Kazouka et Jean-Baptiste Lepeltier

9 octobre - 20 novembre 2021


Des différents modes et températures de cuisson de la terre, Elsa Sahal explore tous les effets de matière, jusqu’à des subtilités qui n’échapperont pas aux yeux les plus affutés. Plus évidemment, le brillant et le mat s’opposent – ou se complètent – et esquissent dans ses dernières sculptures un pas de deux qui a tout du corps à corps. Car la dualité présente dans les surfaces travaille tout autant les formes, dans un écart chorégraphié par la sculptrice entre protubérances ramassées et fuseaux graciles, membres ou parties du corps humain et formes de vie moins dissociées, lesquels exécutent ensemble des figures plus ou moins acrobatiques, tels des couples de danseurs et danseuses, d’amants ou de lutteurs : les torsions sont lascives ou contraintes, enveloppantes ou menaçantes, tandis que les jambes se font tantôt tentacules ou voiles caressants, tantôt cornes, dards ou banderilles proches de s’enfoncer – ici règnent les métamorphoses et les associations. Avec ces tensions dynamiques, ces équilibres de forces s’appuyant l’une sur l’autre, Elsa Sahal ajoute un chapitre à l’histoire de la représentation du mouvement et de la sculpture en plusieurs parties : évoquant des têtes ou des jambes, ces formes qui s’approchent jusqu’à se frôler semblent inéluctablement attirées l’une vers l’autre, tandis que leurs duos, parce qu’ils combinent l’ascension et la chute, l’enroulement et la culbute, la dissociation et la fusion, pourraient bien incarner diverses versions d’un sens dessus dessous on ne peut plus carnavalesque.

Parce que l’artiste se plaît, on le sait, avec une tendre irrévérence, à jouer avec l’histoire de l’art, les formes mates ramènent à la mémoire des mannequins – ceux des surréalistes ou d’artistes pop comme Allen Jones – et les brillantes, les sculptures de Jean Arp quoique l’on associe plus spontanément à celles-ci la blancheur mate du plâtre ou du marbre. Et dans cette inversion de valeur se joue un dévoilement semblable à celui qui s’opère quand Daniel Arasse décrit Le Verrou de Fragonard et donne à voir, dans le rien d’un lit défait, l’objet du désir et la peinture même. Les sculptures d’Elsa Sahal – toujours creuses, on le rappellera – résonnent de l’ambivalence qui traverse les textes de Arp, plus explicite que dans ses œuvres, lesquelles pourtant recèlent bien, outre leurs formes rondes et pleines, certains "objets désagréables". "J’ai interprété et nommé ‘amphore’, écrit-il dans Jalons, une certaine concrétion à laquelle je travaille et retravaille. Le noyau de cette concrétion est un objet casanier ressemblant à une poupée débonnaire aux formes arrondies et agréablement bombées. De cette forme s’étirent des membres malfaiteurs, des serpents meurtriers, mordants, avides d’étrangler." Elsa Sahal aussi est hantée par le motif du serpent, par la violence qui s’y niche à l’image de ceux avec lesquels Laocoon et ses fils sont aux prises dans le célèbre groupe sculpté qui les représente et par son symbolisme ambivalent qu’Aby Warburg a étudié dans Le Rituel du serpent : récit d’un voyage en pays pueblo. On ne s’étonne donc pas d’en voir surgir l’image tant dans les torsions des jambes que dans les formes ramassées, comme des nœuds et de sentir ainsi la séduction et la violence s’entremêler : le monde n’est pas toujours rose – une des couleurs de prédilection de la sculptrice – et ce n’est pas Hans/Jean Arp qui la contredira, lui qui avait choisi d’"accepter le clair et le sombre que le hasard nous envoie non seulement avec étonnement mais avec une reconnaissance émue" (Jalons). Peut-être l’éprouve-t-on, cette même reconnaissance, quand, par le simple geste de tordre un boudin de terre, surgit un serpent ou quand apparaît à l’artiste une "pierre formée par la main humaine". Aussi simple soit-elle, la forme n’est jamais seule et si elle est le produit de la rencontre, heureuse, entre une action et un matériau, elle porte aussi son propre commentaire – sa signification, son impensé, voire son refoulé –, d’où ce jeu de dédoublement, d’attraction et de soulignement mis en œuvre dans ces sculptures d’Elsa Sahal qui, aimant à jouer avec la terre, les mots et le spectateur, n’en est pas à sa première Arperie : pirouette, plaisanterie, entourloupe, facétie, pied de nez… La dernière en date pourrait porter un titre de fable, à tiroirs : le berger des nuages au pays de la charmeuse de serpents (1).

 

Guitemie Maldonado (octobre 2021)



(1) Soit en quelque sorte Jean Arp et sa sculpture Berger des nuages rencontrant Henri Rousseau et son tableau La charmeuse de serpents. D’ailleurs, le premier conseillait aux sculpteurs, non d’essayer d’abattre un nuage avec des flèches, mais plutôt de le charmer "d’un air de violon sur un tambour ou d’un air de tambour sur un violon", jusqu’à ce qu’il descende, se prélasse de bonheur et enfin se pétrifie.



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Elsa Sahal - Née en 1975 à Bagnolet. Vit et travaille à Paris.

2000 Diplômée de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris, elle rejoint la Galerie Papillon.

2007 Résidence à la manufacture nationale de Sèvres. 

2008 La Fondation d’entreprise Ricard lui consacre une exposition personnelle et elle obtient le prix MAIF pour la sculpture.

2009 Professeure invitée à Alfred University, New York State College of Ceramic.

2013 Résidence à Archie Bray Foundation dans le Montana. Ses œuvres sont montrées dans l’exposition Body & Soul : New International Ceramics au Museum of Art and Design de New York. 

2015-2016 Ceramix au Bonnefantenmuseum à Maastricht et à la maison rouge à Paris.

2017 Premier solo show à The Pill, galerie qui la représente dès lors en Turquie.

2017-2018 Women House à la Monnaie de Paris et au National Museum of Women in the Arts à Washington.

2018 Sixième exposition personnelle à la Galerie Papillon – curator Gaël Charbau.

2019 Premier solo show à Nathalie Karg Gallery, New York qui la représente dès lors aux États-Unis.

2020 Picasso, baigneuses et baigneurs au musée des Beaux-Arts de Lyon; installations in situ Le Voyage à Nantes et Les Extatiques.

2021 solo show Female Factory, Setareh, Berlin, Allemagne; présentation de Vénus Polymathe Jouissante à La Panacée-MO.CO., Montpellier.

Parmi les collections publiques : Centre national des arts plastiques (2009, 2020), Fonds d’art contemporain – Paris Collections (2017), Fonds régional d’art contemporain Normandie Caen (2021)