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Gaëlle Chotard
Frémissements

29 janvier - 19 mars 2022


Après la tempête…
Ces formes organiques et légères, tissées de fils métalliques et nouvellement greffées à des volumes en plâtre d’un blanc immaculé, sont le fruit d’un patient travail de maillage réalisé par Gaëlle Chotard. De ce geste minutieux, plongeant l’artiste dans un état d’introspection, naît la silhouette rebondie d’une Vénus ancestrale tandis qu’émergent plus loin quelques barques entrelacées, signes de notre ambivalente condition : féconde et créatrice, donc… mais également précaire, à la dérive, prise dans les flux et les reflux d’un monde en perpétuel devenir, comme naufragée "dans la tempête virale"1 qui ne cesse de nous secouer.

Une facture aussi fine se rencontre également dans les dessins de Gaëlle Chotard, où la couleur s’invite désormais, faisant suite à d’élégantes séries d’encre de Chine. Les tonalités rouillées de carcasses brutes, déchirées par l’ouragan, gisent dans les vert-bleu profonds des abîmes sous-marins. Les couches d’aquarelle colorée qu’aura "bues" le papier déclinent quant à elles des strates diaphanes et compactes, à l’image des eaux des océans où se déploient des formes irisées et de frêles filaments. Leurs traits infra-minces, tantôt éthérés tantôt foisonnants, flottent comme une mèche de sirène, une méduse dansante ou une algue rousse, bientôt prises dans les mailles ocre des filets de cuivre ainsi sculptés. Là, on s’égare dans un "paysage mental", composé de bribes et d’archipels, qui se serait constitué de lui-même au fil de la plume et du crochet que manie l’artiste… ou suivant les divagations de notre imagination.

Images elliptiques
On se prête volontiers au jeu de la mimésis et de la projection : que deviner dans les formes trouées et les tracés tourbillonnants que nous offre Gaëlle Chotard ? Qu’y reconnaître malgré les "omissions" ou l’"incomplétude ontologique"2 qui semblent frapper ses créations ? "J’attache une importance à la sensation qu’une œuvre n’est pas complètement terminée ou qu’elle laisse supposer un prolongement" nous glisse-t-elle… Mais plus qu’une question d’imitation, je pense que l’œuvre de Gaëlle Chotard touche à un point essentiel où l’art s’ouvre (osons le mot !) à une "métaphysique". Car ces ellipses et ces dissolutions, qui constituent le cœur même des œuvres et de l’espace d’exposition pensé par Gaëlle, tissent une dialectique entre "le vide et le plein"3 , dans un mouvement de "relâchement et de tension"4 , de respiration et d’accélération. Elles nous ramènent à ce que la pensée taoïste appelle le "Souffle primordial" ("Qi") circulant dans l’univers (le "Grand Tout"), et reliant les êtres qui l’habitent. Elles nous renvoient également à ce que le philosophe Henri Bergson dénomme "l’élan vital" ou "l’élan créateur" qui traverse aussi bien chaque monceau de matière (que l’on croirait de prime abord inanimé) que le flux ininterrompu de notre conscience mue par une multitude de pensées et d’états d’âme entremêlés. Le monde est bel et bien un tissage de "réalités souples"5 .

Du souffle vital à la pulsation lyrique
Les maillages et les tracés de Gaëlle Chotard m’apparaissent ainsi comme l’expression d’une force fertile ou d’une vibration intime qui témoigne, à son tour, de la poussée qui s’empare de l’artiste lorsqu’elle se trouve en position de créer – Gaëlle me parle ici de la peintre Agnès Martin, concentrée devant sa toile, attendant le moment propice pour se lever et exécuter un trait "parfait" sur la surface du tableau. Ces lignes d’encre et ces fils de cuivre (soit le matériau "conducteur d’énergie" par excellence d’après Joseph Beuys) ne se contentent pas de capter la structure alvéolée des choses ou de suggérer leur enveloppe sensible. Bien plus, ils émanent d’une vibration, d’une palpitation : disons du pressentiment de la vie – soit le battement ou la "vitalité interne"6 qui meut chaque être suivant son propre tempo. "Je voulais dessiner la conscience d’exister et l’écoulement du temps. Comme on se tâte le pouls"7 déclare à son tour le poète Henri Michaux, dont les encres sous mescaline font également état de ce tremblement frémissant au cœur des choses. Car si Mona Hatoum souligne "l’importance d’être à l’écoute de la matière et de ses propriétés"8 , il s’agit avant tout, chez Gaëlle Chotard, d’exprimer la pulsation singulière qui frissonne dans chaque être dévalant le long de l’échelle du vivant. Son œuvre vibre ainsi comme l’ondulation d’un arpège grésillant, tournoyant sur un vieux vinyle… comme le frisottement d’une corde qui chatouille l’âme d’un auditoire en train de chavirer : soit la définition même du lyrisme, en tant que restitution de notre souffle vital. 


François Salmeron
Critique d’art membre de l’AICA-France
Chargé de cours à l’Université Paris 8 et à l’ESAD de Reims
Co-directeur de la Biennale de l’Image Tangible, Paris


Gaëlle Chotard – née en 1973 à Montpellier, vit et travaille à Nogent-sur-Marne. Diplômée des Beaux-arts de Paris en 1998, Gaëlle Chotard participe à de nombreuses expositions collectives dont au Carré d’art de Nîmes, au Domaine Pommery à Reims, au Palais des Beaux-Arts de Lille, à la Villa Bernasconi, Grand-Lancy/Genève. Elle a produit des œuvres in situ pour le Château de Rambouillet et pour le Musée des Arts décoratifs à Paris dans le cadre de l’exposition "Dans la ligne de mire”. En 2017, elle investit l’Espar au Mans, la Villa Tamaris avec “Interstices" et la Chapelle du Généteil qui publie Gaëlle Chotard, Dessins 2007-2017 sur une proposition de Bertrand Godot.
En 2018, elle a été sélectionnée en duo avec la curatrice Valentine Meyer pour une exposition personnelle au Drawing Lab. Les œuvres de Gaëlle Chotard sont présentes dans les collections du Cnap – Fonds national d’art contemporain et du Frac Normandie Rouen.
Frémissements est sa 5ème exposition à la Galerie Papillon.



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1 Slavoj Zizek, Dans la tempête virale, Actes Sud, Paris, 2020.
2 Hans Jonas, Le Phénomène de la Vie, Essai VII "La production d’images et la liberté humaine", De Boeck Université, Bruxelles, 2000.
3 François Cheng, Le Vide et le Plein, Éditions du Seuil, Paris, 1991.
4 Henri Bergson, L’Evolution créatrice, PUF, Paris, 2013.
5 Henri Bergson, Matière et mémoire, PUF, Paris, 2012.
6 François Cheng, Le Vide et le Plein, Éditions du Seuil, Paris, 1991.
7 Henri Michaux, L’espace du dedans, Gallimard, Paris, 1998.
8 Valentine Meyer, "Gaëlle Chotard, les fils de la vie", Open Ring, 11 avril 2020.