Télécharger le communiqué de presse


 virus_carton1_copie.jpeg

Berdaguer&Péjus

La chair au contact de la chair doit ressembler au vert énergumène des martiens

19 mai – 20 juillet 2022
[interruption du 21 au 25 juin]

 
Christophe Berdaguer et Marie Péjus réalisent des projets artistiques dans lesquels le fonctionnement du corps humain, son système neuronal, ses molécules, la psychanalyse et tout ce qui constitue son habitat (architecture, urbanisme et environnement naturel) sont essentiels à leur démarche, tendant à investir les espaces intermédiaires nécessaires à la coexistence de ces entités. Ces espaces intermédiaires, a priori vides, éthérés, se retrouvent dans leurs œuvres peuplées de spectres, de voix étouffées ou extraterrestres, de virus, de molécules de produits pharmaceutiques… activant par leur invisibilité, tout un imaginaire donnant forme à des installations immersives. Travaillant en une seule entité, les artistes s’effacent derrière des œuvres hybrides, exposées dans un relatif inachèvement (prototypique), en constante gestation. A l’occasion de leur exposition La chair au contact de la chair doit ressembler au vert énergumène des martiens, Christophe Berdaguer et Marie Péjus présentent un ensemble d’œuvres marqué par les évènements récents, confirmant le potentiel spéculatif de situations dépassant l’échelle cognitive individuelle, propices à l’élaboration de fantasmes dans lesquels vérités, contre-vérités et mensonges agissent indifféremment sur les consciences. 


Benoît Lamy de la Chapelle : L’idée de la série de tableaux Intrusion vous est apparue alors que vous étiez confinés dans votre atelier-logement, n’ayant d’autre horizon que cet espace de vie restreint. Que nous donne-t-elle à voir exactement ?

CB&MP : Cette série d’images résulte de captations de rayons de lumière pénétrant dans l’atelier. 
Celui-ci joue une forme de caisse d’enregistrement du monde extérieur, des lumières, des formes, des animaux viennent s’y réfugier. Un peu comme des « Ghostbusters », nous sommes partis à l’affût de ces apparitions. Nous avons mis au point une technique « d’encapsulage » de ces images dans de la cire qui produit à la fois un filtre protecteur, et donne une profondeur aux images. La cire a longtemps été utilisée pour conserver les aliments. Dans ces œuvres, elle joue le rôle d’un derme protecteur.

BLdLC : Aussi énigmatiques dans leur rendu, quoi qu’évoquant un univers plastique proche des films de David Cronenberg - et toutes les questions existentielles liées au rapport corps organique/technologie que ceux-ci convoquent -, les Cires anatomiques présentent des lambeaux de chair durcis par l’intrusion de corps mécaniques. Ces amalgames de pièces anatomiques, mécaniques et de cire visqueuse, semblent se faire l’écho du transhumanisme ambiant par un rapport d’attraction/répulsion produit par la collision de matières organiques et de bio-technologie, dont l’opposition tend aujourd’hui à s’estomper. Comment abordez-vous ces questions dans votre approche ?

CB&MP :  Les cires anatomiques sont organisées spatialement de telle façon que chacune d’entre elles demeure célibataire, bien que connectée par un système constructif, constitué de barres métalliques rappelant des ossatures ou prothèses, tout comme une organisation spatiale architecturale. Les vides dessinés par la structure créent tout un jeu de construction et conditionnent les déplacements du spectateur. Nous envisageons l’ensemble autant comme une ville que comme un corps-machine éclaté dans l’espace. Plutôt qu’un trans humanisme, nous préférons transe humanisme ! 

Les formes et les idées émergent parfois pour des raisons inattendues. Les premiers assemblages ont vu le jour à la suite d’une fracture du métatarse de l’un de nous, peut-être une forme de conjuration ? Une façon de sculpter le handicap, de figer le mouvement… 

Plus qu’une "robocopisation" de l’humain ou autres rêves d’homme augmenté, nous y voyons des formes hybrides, symbiotiques. Dans notre travail, le corps est souvent pensé comme un organisme poreux, traversé, contaminé par l’environnement qu’il habite. A travers ces sculptures, nous avons envisagé des machines à l’image du corps et non des corps à l’image de la machine. Le débat entre Hermann Muthesius et Henry Van de Velde n’est toujours pas clos.

BLdLC : Vos choix esthétiques et les univers que vous composez sont souvent très proches de celui du cinéma ou de la littérature d’anticipation. Vous avez pourtant expliqué à plusieurs reprises ne pas être intéressés par la science-fiction à laquelle vous préférez la réalité comme outil de spéculation. Pourriez-vous revenir sur ce point et expliquer dans quelle mesure cette exposition s’appuie sur la réalité de ce début des années 2020 ?

CB&MP : Disons que prendre la science-fiction comme point de départ reviendrait à travailler à partir de montages spéculatifs « de seconde main ». Le quotidien et le journal du jour sont des pistes de décollage bien plus intéressant. Par ailleurs, la découverte des radicaux italiens, les monuments continus de Superstudio, ou encore la Pill Architecture de Hans Hollein et autres rêves/cauchemars de cette période, ont nourri notre travail bien plus que le cinéma ou la littérature d’anticipation. 

Quant à la réalité de ce début des années 2020, on peut dire qu’elle en a pris un sacré coup ! D’ailleurs le nombre de textes, recherches, archives et récoltes sur nos rêves n’ont jamais été aussi importants, peut-être parce que nous étions face à l’impossibilité d’appréhender notre présent, ou que les moments d’éveil et de sommeil se sont quelque peu brouillés ?

Il y a sûrement quelque chose de l’inquiétante étrangeté chère à Freud dans ces derniers travaux. Présent, passé et futur se sont déroulés dans un plan fixe. Les notions d’espace, de territoire se sont elles aussi redéfinies, et l’attention portée aux non-humains c’est elle aussi transformée… Alors oui, vivre tout cela dans un atelier produit des effets sur la manière de penser l’art et sa production.

Cette exposition tente de montrer des façons de prendre acte du temps qui passe et des infimes vibrations qu’il produit. Pour la première fois paraît-il, des scientifiques ont entendu le bruit de la terre, peut-être est-ce une nouvelle forme de réalité… 

BLdLC : Trajectoire martienne consiste en une sculpture faite de réseaux de boucles métalliques chaotiques, matérialisant des traductions en paroles « solides » de poèmes de Kathy Acker et Jack Spicer prononcés en langue « martienne ». En quoi consiste cette technologie et que nous dit-elle de votre intérêt pour l’univers extraterrestre, et d’ailleurs de quel type de vie extraterrestre parle-t-on dans votre travail ?

CB&MP : Les paroles solides prolongent une discussion que nous avons eu avec la médium suisse Hélène Smith (1861-1929) à travers un processus de traduction inventé à partir d’un articulographe (projet réalisé avec l’aide du laboratoire parole et langage d’Aix en Provence), machine permettant de capter les mouvements à l’intérieur de la bouche lorsque nous parlons. Nous avons utilisé cette machine pour capter les paroles martiennes d’Hélène Smith et nous les avons traduites en dessins en 3D, imprimés ensuite en 3D.

Les paroles se sont en quelque sorte solidifiées et ont produit des sculptures. Les nouvelles "paroles" montrées dans l’exposition prolongent ces jeux de traductions de textes en sculptures, en imaginant des "discussions" entre deux poètes, Kathy Acker et Jack Spicer, dont les processus d’écriture se rejoignent, une écriture qui convoque les fantômes, qui se laisse traverser par des EVP (Electronic Voice Phenomena) et qui laisse parler l’alien qui se cache en chacun d’entre nous. La figure de L’alien, de l’extraterrestre, ou du fantôme permettent de jouer à des jeux de ficelles pour reprendre l’image de Donna Haraway. Ils ouvrent des espaces, des possibles, il y a un devenir oiseau, un devenir martien, un devenir fantôme.

BLdLC : La place du visiteur est habituellement cruciale dans vos œuvres : vous souhaitez que les personnes pénétrants ou regardant vos œuvres, leur fassent autant subir leur existence, que celles-ci ne les stimulent. Qu’en est-il pour cette exposition dans laquelle les œuvres sont peut-être moins immersives que dans d’autres ? Comment y envisagez-vous cet aller-retour ?

CB&MP : En effet, le vide autour des œuvres, la lumière, l’architecture, l’air ou encore les odeurs travaillent avec les œuvres : nous pensons cela comme un paysage partagé. Cette exposition fonctionne « en mode » pause : le paysage est gelé, pétrifié, des articulations bloquées, rayons de lumière encapsulés, paroles figées dans la corde… Toutes les œuvres parlent de mouvements, de trajectoires mais tout est à l’arrêt. Les spectateurs viendront en quelque sorte animer le paysage et perturber l’« effet freeze » pour reconnecter l’ensemble à un flux temporel « normal ». Duchamp parlait de retard à propos de certaines de ses œuvres. Certains artistes sont toujours ponctuels, d’autres cultivent le retard et l’art de la chrono défaillance.

 

Benoît Lamy de la Chapelle

Directeur, Centre d’art contemporain - La synagogue de Delme

 

Christophe Berdaguer (1968) et Marie Péjus (1969) vivent et travaillent à Marseille.

Prix Ricard 2007, Berdaguer&Péjus sont pensionnaires à la Villa Médicis l’année suivante. Ils ont réalisé plusieurs expositions personnelles : Villa Arson, Nice, 1997 ; FRAC PACA, Marseille, 2001 ; Lieu Unique, Nantes, 2006 ; FRAC Basse-Normandie, Caen, 2007 ; Circuit, Lausanne, 2010). En 2012, ils présentent "Insula", une importante exposition monographique à l’Institut d’art contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes. Ils ont également participé à de nombreuses expositions collectives (Subréel, MAC, Marseille, 2002 ; Communauté 1 et 2, Institut d’art contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes, 2004 ; Dreamtime, Musée des Abattoirs, Toulouse, 2009). En 2018, la Friche la Belle de Mai à Marseille leur a consacré une importante exposition personnelle et le Palais de Tokyo a présenté leurs Sculptures hystériques à Gwangju, Corée du Sud. La chair au contact de la chair doit ressembler au vert énergumène des martiens est leur deuxième solo show à la Galerie Papillon