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Irina KIRCHUK & Dieter ROTH

 

Brochette

 

2 septembre au 28 octobre 2017

 

 

Brochette : une décomposition des espaces communs

Par Paula Klein

 

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner » Georges Perec, Espèces d’espaces

 

Que signifie regarder le commun ? Tenter de saisir le continuum des gestes quotidiens et de ses rituels fondés sur la répétition. Comme une chorégraphe, Irina Kirchuk donne du souffle à une série d’objets et de scènes banales qui semblent capturés en plein développement, débordants de vie et de mouvement. Jouant avec le cadre d’un intérieur bourgeois classique, l’installation de la Galerie Papillon nous conduit à observer avec un regard renouvelé nos espaces ordinaires.

 

L’installation propose un parcours à travers deux espaces ou « paysages », le premier de caractère sculptural, l’autre s’offrant comme un tableau au spectateur. Dans la première salle, les armoires de cuisine « qui transpirent » nous ramènent, par un clin d’œil sarcastique, aux deux dessins de Dieter Roth qui thématisent le devenir objet d’une femme et l’humanisation progressive d’une petite table basse. Kirchuk nous conduit alors à un salon-salle à manger, où la vie se trouve artificiellement arrêtée. Le caractère scénique, à la lisière du dramaturgique, de cette salle nous interroge sur le lien entre les habitants et leurs biens : quelle intimité plus parfaite que celle dans laquelle nous percevons uniquement les traces de ceux qui se sont absentés ?

 

Chez l’artiste, l’univers domestique se transforme en un éloge de la fonctionnalité dépouillée des objets : armoires de cuisine, canapé, table à manger fondue, woks, tapis et aspirateur. Le public circule dans ces pièces comme s’il s’agissait d’un rêve où les espaces sont hors champs. Néanmoins, derrière l’apparence épurée des formes géométriques et des couleurs vives, Kirchuk n’occulte pas le travail effectué sur les matériaux du quotidien : le processus d’élaboration s’exhibe comme si ces œuvres désiraient donner à voir le squelette des objets et des scènes.

 

L’installation est aussi un hommage à des mouvements qui, comme Arte povera ou le dadaïsme allemand du groupe Merz, ont su saisir la beauté d’un art du « rien », faisant des artistes de véritables équilibristes du dénuement. L’austérité des formes et des couleurs des œuvres de Dieter Roth crée donc ici un contrepoint avec l’exubérance de la palette utilisée par l’artiste. L’hommage devient intentionnellement railleur lorsqu’elle fait trôner l’« œuvre-sandwich » (Sandwichbrotgebilde, 1984) de Roth sur la table à manger pleine d’ustensiles de cuisine et d’un œuf frit volant.

 

Flânant dans les rues d’un Paris devenu « capitale des déchets » afin de collecter et de recycler ce que d’autres ont désigné comme detritus, Kirchuk se transforme en une chiffonnière contemporaine, dans le sillage de Baudelaire et de Walter Benjamin. Ces « restes » et reliquats de la ville cohabitent avec des objets neufs, sans aucun autre usage que celui qui leur a été réservé par l’artiste. Dans cette coexistence parfois minimaliste, parfois excessive, transparaît l’épopée moderne des objets. Ces anti-héros qui nous renvoient notre propre reflet, que l’on choisisse de se définir par ce que l’on conserve ou par ce que l’on jette. Cette exposition affirme que ces déchets que la ville accumule, expulse et réutilise ne sont que l’expression inquiétante de nos vies en ce qu’elles ont de plus commun, de plus partagé.