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Vue de l’exposition Leurs printemps, 2018
© Steven Daniel

Leurs printemps
Commissaire d’exposition Léa Chauvel-Lévy

Pierre Ardouvin, Grégoire Bergeret, Stéphane Calais, Erik Dietman, Morgane Erpen, My-Lan Hoang-Thuy, Emmanuel Le Cerf, Thomas Mailaender, Jérôme Robbe, Alice Robineau, Elsa Sahal

26 mai - 20 juillet 2018

 

Vernissage samedi 26 mai, 12h - 21h

 

Prolongation jusqu’au 20 juillet


Ouverture exceptionnelle dimanche 27 mai, 12h - 19h
à l’occasion de Paris Gallery Weekend


Impression

Ma grand-mère était fleuriste. Alors qu’elle perdait la mémoire peu avant sa disparition, elle se souvenait néanmoins du nom des fleurs. Les gestes quotidiens et itératifs aux Halles, dans le Ventre de Paris, puis à Rungis, avaient ancré une multitude d’espèces. Robert Doisneau a photographié ses amis, sa bande. C’était le point de départ d’une exposition qui, je l’ignorais alors, allait devenir une forme d’hommage. Si son origine est personnelle, l’aventure de Leurs printemps est collective à travers les œuvres de onze artistes qui investissent la fleur comme forme et comme signe.

La représentation artistique de la fleur se multiplie dès le XVIème siècle au moment où celle-ci devient profane.
À travers différentes installations, peintures, dessins, photographies, cartes postales, céramiques, l’exposition est le point d’arrimage de plusieurs notions : la fleur comme grammaire formelle, la fleur à l’ère anthropocène, et encore la fleur comme incarnation d’un désir précaire.

Stéphane Calais et Jérôme Robbe éprouvent chacun à leur façon le besoin de dessiner ou de peindre des fleurs, quotidiennement pour le premier, par phases intensives pour le second. C’est leur grammaire formelle, un peu à la façon d’un Hockney que l’on cite volontiers ici "Je dessine des fleurs tous les jours puis les envoie à mes amis, comme ça ils reçoivent des fleurs fraîches tous les matins". Stéphane Calais épouse, épuise et renouvelle ce motif chaque jour, Jérôme Robbe offre ses bouquets peints à des personnes qui l’ont aidé dans sa vie.
La nature de la fleur, son essence même, organe de reproduction sexuée, entraîne des constructions culturelles qui font d’elle une métaphore du cycle de la vie. Elle est là au début. Elle est là à la fin. Les laves imprimées de Thomas Mailaender illustrent ce continuum notamment à travers une image de pierre tombale ainsi qu’une rose blanche dont le cœur incarne une tête de mort. Pourquoi fleurit-on les tombes ? Parce que la fleur est sexuelle, gage de vie par la présence en elle de deux sexes ; mâle et femelle, étamine et pistil. Un pistil noir, mat, dense et attirant signé Elsa Sahal se dresse dès l’entrée de l’exposition. Au seuil était la vie… Cet organe femelle engage un discours amoureux avec une photographie d’Emmanuel Le Cerf, une fleur de pavot, sensuelle, duveteuse, percée pour y laisser passer un lacet de cuir comme on procéderait à une incision pour en récupérer l’opium. Une fleur immortalisée dans un dernier geste photographique par l’artiste qui passera ensuite au volume. Immortalisées, c’est aussi le cas des jonquilles d’Alice Robineau qui les cueille aux Batignolles et les résine alors qu’elles sont encore en vie. Oui, il est bien difficile de tourner le dos à l’implacable poncif du memento mori et de la vanité – à cette "grâce dans la mort" comme l’écrivait Georges Sand face aux aquarelles de fleurs de Delacroix.
C’est le sens du bouquet de fleurs éternelles de Pierre Ardouvin. Artificiel, fané à jamais, cet ensemble posé sur un guéridon nous met face à ce couperet "du temps qui passe trop vite, de la fragilité et du triomphe de la mort" selon ses mots.

S’il est légitime de conceptualiser les fleurs à travers ce prisme de la précarité, de l’éphémère et de la finitude, les fleurs de lys tatouées par My-Lan Hoang-Thuy n’y échappent guère puisqu’elle les laisse volontairement mourir au cours de l’exposition - une dialectique optimiste est également possible. Un à un, les pétales tombent mais sur chacun d’eux la beauté implacable d’une femme, nue, est imprimée et éveille désir et puissance de vie. Gageons que l’artiste teinte et égaye métaphoriquement la disparition. Une disparition programmée, d’ordre écologique, chez Morgane Erpen dont l’installation Carduus rappelle en faisant flamber des chardons que l’homme domestique la nature jusqu’à son épuisement. Tout acte de représentation de la fleur est une tentative latente de domestication. Il est intéressant à cet égard de rappeler avec Valérie Chansigaud que "la place des fleurs dans les arts suit très exactement celle du développement des jardins fleuris (…) les premiers portraits de fleurs de la fin du XVIème siècle et du début du XVIIème siècle sont uniquement composés de variétés cultivées."(1) Les fleurs sauvages sont sous-représentées picturalement, voire inexistantes. Avec Grégoire Bergeret, la fleur éclot, explose, c’est un obus, frondeur, arrêté dans sa course. Figé en un état, dans ce métal brut qui défie l’organique et le vivant.

En explorant la nature contradictoire des fleurs, Leurs printemps souhaite célébrer la vie tout autant que la renaissance dans ce qu’elle peut induire de réminiscence. "Le vrai tombeau des morts est le cœur des vivants" ainsi en avait décidé Cocteau. Après la disparition d’Erik Dietman, Claudine Papillon a retrouvé une enveloppe contenant une édition très limitée, trois exemplaires, datée de 1963 : trois cartes, désuètes et fleuries, où "heureux anniversaire" est recouvert de sparadrap. Celui qui deviendra l’ex-Roi du Sparadrap panse/pense le temps qui passe de ces vœux fleuris.

Léa Chauvel-Lévy

(1) Valérie Chansigaud, Une histoire des fleurs : entre nature et culture, Paris, Delachaux et Niestlé, 2014.


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